mttiro
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Posté le: Jeu 20 Oct 2011 3:59 pm Sujet du message: Bright, Bales, Willis, 1588 à 1602 |
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Le trio élisabéthain inaugural de la tachygraphie anglaise, et par suite de la tachygraphie européenne moderne,
est constitué par ces trois quasi-contemporains :
- Timothy Bright (1551 ?-1615), Characterie, 1588
- Peter Bales (1547-1610 ?), Arte of Brachygraphie, contenue comme la première partie
de son livre Writing Schoolemaster, in three Parts, 1590
- John Willis (1575-1625), Art of Stenography, 1602
Il me semble que Bales est le moins connu des trois, et qu'il est d'ailleurs fréquemment oublié
dans les présentations historiques rapides de la sténographie. C'est pourquoi je crois utile
de lui consacrer quelques notes particulières, traitant des deux autres auteurs en arrière-plan.
1) Bales comme inventeur de système tachygraphique (?)
On trouve une longue entrée (pp. 428-440) sur Bales dans Biographia Britannica, or the lives
of the most eminent persons who have flourished in Great Britain and Ireland from the earliest ages
down to the present times, collected from the best authorities, both printed and manuscript,
and digested in the manner of Mr Bayle's Historical and Critical Dictionary, volume 1, Londres, 1747
[disponible en ligne sur Google Books]
Bales était réputé comme calligraphe, et notamment comme virtuose de la micrographie,
arrivant à placer toute une série de prières sur un espace minuscule gros comme une pièce de monnaie.
Dans son Writing Schoolmaster divisé en trois livres, chacun correspondant à un art
de l'écriture partculier, Bales consacre un livre au "swift writing" (sa brachygraphie),
un au "true writing" (l'orthographe), et un au "fair writing" (la calligraphie). La partie brachygraphique
a été republiée ensuite séparément.
La brachygraphie de Bales, qui serait une amélioration du système de Timothy Bright, est décrite
de façon allusive et obscure dans Biographia Britannica :
"The improvement made by Bales in his book aforesaid, was to write after the Doctor's charactery words,
divided into dozens, by the Roman letter, with certain commas, and other periods or short marks,
so be set about each letter in twelve several places, for the distinction of every word".
La description de Bruce R. Smith, dans The Acoustic World of Early Modern England: Attending the O-Factor
(University of Chcago Press, 1999), page 120, est plus claire : "Single letters with added points, jots,
and tittles stand for the commonly used words beginning with that letter. By memorizng
these cues - Bales recommends doing so in groups of twelve - a student theoretically has the entire English
literally at his finger tips. For words that are not in Bales's lists a a student can rely on synonyms
or else make up his own symbols".
La description de Laurie E. Maguire, Shakespeare's Suspect texts: the 'bad' quartos and their contexts,
Cambridge University Press, 1996, page 98, est encore plus claire, et permet enfin de saisir de quoi il s'agit :
"However, Brachygraphy was not a significant improvement on Charactery, being a system of abbreviation
rather than shorthand. It used the letters of the alphabet, to which forty-eight end-signals were attached.
A letter accompanied by a dot, for example, has twelve different meanings depending on the position of the dot".
Maguire donne l'exemple du "d", précédé (ou surmonté) d'un point, qui peut peut être placé en six positions,
avec les six sens suivants : descend, day, deceive, dedicate, defend, deprive. Maguire ne l'indique pas, mais avec six autres
notations conventionnelles, on arrivera au bloc de douze qui est l'unité organisatrice préconisée par Bales
pour favoriser la mémorisation.
On a évidemment à faire à un système, pas très différent de celui de Timothy Bright (lequel s'utilisait encolonnes,
notons-le au passage), qui est rendu censément plus accessible par des groupements de mots
en classes de douze, mais qui reste plongé dans le cadre conceptuel de l'"ars memoriae",
la charge mémorielle étant énorme. On doit en effet retenir un complexe symbolique conventionnel
pour chaque mot, sans décomposition motivée du mot, graphique ou sonore. Le manuel de Bales,
que je n'ai pu consulter directement, comprendrait ainsi 6000 abréviations de mots.
Pour ce que je crois en saisir, le système de Bright est peut-être plus, au moins pour une part, une technique
d'analyse componentielle du sens des mots (cf. l'ars combinatoria de Leibniz), dans le style
des nombreuses tentatives de "langue universelle", qu'une tachygraphie conçue de manière pratique.
En effet les courants d'idées qui confluent dans ce genre de tentative sont : a) la langue universelle
et / ou une notation universelle dans le style de Dalgarno ou de Wilkins, combinée à b) un classement général
des concepts du style de ce qui sera réalisé plus tard par Peter Mark Roget dans son Thesaurus,
c) l'art de la mémoire, d) la notion de brachygraphie n'étant peut-être pas si prédominante que cela.
Bien entendu, dan une langue conceptuelle universelle, la décomposition du sens peut
se symboliser par une notation économique (Leibniz a beaucoup réfléchi à ce genre de questions),
mais cette notation, quelles que soient ses vertus, n'est guère pratique pour quelqu'un qui souhaite
s'adonner à ce qu'on appelle parfois de nos jours la PRP ("prise rapide de la parole"), ni même
pour des notes à usage personnel.
L'univers mental dans lequel on se meut là est ainsi très différent de celui qui s'est constitué ultérieurement,
car même si certains concepteurs de sténographies furent aussi des militants idéologiques
assez affirmés de telle ou telle cause (Pitman lui-même, par exemple), éventuellement d'une langue
auxiliaire type espéranto, on n'évoluera plus dans ce cadre-là.
Vu sous l'angle tachygraphique, et selon un processus renouvelé au cours du temps
dans l'histoire des systèmes sténographiques parfois chimériques par leur absence caractérisée de sens pratique,
on peut considérer que cette technique hyper-savante est en réalité
massivement inférieure à la tachygraphie spontanée pratiquée sauvagement depuis des siècles,
et dont sont des variantes savantes, d'une part certains usages "tironiens" médiévaux, et d'autre part, de façon systématisée,
l'"écriture abréviative" de Scott de Martinville (deux cas dont j'ai traité par ailleurs sur ce forum).
Ces derniers systèmes n'autorisent sans doute pas une grande vitesse du scripteur,
mais on peut fortement douter que les systèmes de Bright et de Bales soient très utilisables,
même par des érudits virtuoses qui auraient consacré un temps énorme à les apprendre
et à s'entraîner, et à leur sacrifier des exercices répétés à longueur de journée.
Sténographiquement, ces tentatives héroïques sont des impasses, et John Willis reste en définitive
le vrai innovateur de la sténographie proprement dite.
Certains, spécialement parmi les spécialistes de Shakespeare et du théâtre élisabéthain, ont émis l'hypothèse
que le système de Bales, ou un autre, ait aidé au piratage de certaines pièces. Ceci est censé expliquer des corruptions textuelles.
Mais on se demande bien comment, dans la pratique, on aurait pu noter au vol une pièce avec un système Bright / Bales.
Le système de Willis est un meilleur candidat.
http://www.flavinscorner.com/shakespeare.htm
En tout cas, on peut consulter Adele Davidson, Shakespeare in Shorthand: The textual mystery
of King Lear (Associated University Press, 2009), pages 36-37 (Early references to shorthand).
Le dramaturge Thomas Nashe fait directement allusion à la brachygraphie de Peter Bales.
On trouvera des reproductions de signes de Bright et de Willis sur cette page d'un site polonais
consacré à l'histoire de la sténographie :
http://stenografia.pl/pmwiki/index.php?n=Historia.Renesans
2) Bales comme inventeur d'un système cryptographique
Bales a par ailleurs conçu une espèce d'alphabet cryptographique, qui fut utilisé, tel quel ou sous une forme
modifiée, nous ne pouvons pas le vérifier, par un disciple, pour des communications secrètes
à propos des comploteurs catholiques ("papistes") réels ou supposés
("ferreting out the Popish Priests and their plots). Il s'agit du "Lineal Alphabet, or Character of Dashes"
(voir page 433 du Biographia Britannica).
A chaque lettre de l'alphabet latin se voit correspondre un trait en segment de droite
(pas d'arc, de cercles, d'ovales, de boucles).
Ce trait diffère selon trois paramètres : dimension (4 possibilités : long, moyen, court, réduit à un point),
position (4 possibilités : posé sur la ligne d'écriture horizontale ou accroché sous la ligne,
ou traversant la ligne avec plus petit segment en dessous ou en dessous), et orientation
(4 possibilités : horizontale, vertical, 45° à gauche, 45° à droite).
Tant dans son principe que dans son aspect, ce système m'évoque l'écriture oghamique :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Écriture_oghamique
http://en.wikipedia.org/wiki/Ogham
Il ne s'agit pas d'une sténographie, car, comme l'observe bien l'auteur de l'article de Biographia Britannica,
il n'y a pas d'abréviation des mots et il y a entre les caractères une "inconnection" : ils ne sont pas liés entre eux. |
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