Forum du petit sténographe

mttiro · Inscrit le: 27 Sep 2011 Messages: 969

L'histoire de la sténographie permet, ou devrait permettre de façon claire, la mise en évidence
d'une situation normale dans l'histoire des idées et des techniques, celle d'une filiation pouvant
traverser des siècles. J'espère d'ailleurs qu'il doit exister des ouvrages où figurent ces filiations
sous la forme d'arbres généalogiques, comparables aux stemmas en codicologie, par exemple.

Ceci permettrait de mettre un peu d'ordre dans un foisonnement impressionnant.
S'agissant du pays le plus fécond aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'Angleterre, on a pu dire en effet :
"D’abord relativement sporadique, la parution de traités de sténographie s’intensifie avec le temps.
Entre 1588 et 1800, on recense 315 traités (originaux et rééditions) dont une liste exhaustive et détaillée
est disponible dans un volume spécialement dédié à ce type d’ouvrages, établie dans le cadre
d’une bibliographie générale de la langue anglaise depuis les débuts de l’imprimerie.
Les 315 notices recencées dans cet instrument ne correspondent pas à un nombre équivalent d’auteurs
et de méthodes mais permettent de se faire une idée de l’importance de la production sténographique
dans l’histoire anglaise de l’imprimé. Un inventaire chronologique des publications établi en 1951
donne un nombre approximatif d’une petite centaine d’auteurs entre 1588 et 1800".
Citation de Delphine Garney, Une culture singulière ? Short-hand systems et abréviation de l’écriture en Angleterre à l’époque moderne
Documents pour l'histoire des techniques, 73-84 (2010), qui a consulté les historiens de la sténographie Alston (1966) et Butler (1951).
http://dht.revues.org/1316

Voici, sans tracé d'arbre, un petit exemple où sont couverts pratiquement trois siècles.

1) J'ai eu l'occasion de mentionner ailleurs la Charactery de Jeremiah Rich (mort vers 1660), admirée par Locke.
Elle était en fait inspirée par celle de son oncle William Cartwright, qui lui avait appris la sténographie.
Jeremiah Rich a publié d'abord Semography (1642), qui est en fait le système Cartwright,
comme indiqué explicitement dans le long titre, puis Charactery en 1646, puis Semigraphy or Arts Rarity,
qui semble être la même chose que Charactery (le terme provient de Bright, semble-t-il)
en 1654 (noter le passage de "Semography" à "Semigraphy",
puis deux autres encore en 1659, 1660 (voir Wikipedia).
Ce système à base essentiellement orthographique a connu un certain succès.

On trouve la réédition d'un des ouvrages de Rich dans une perspective juridique
par Samuel Botley (1640 ou 1641-1677) :
Samuel Botley, Maximum in minimo, or Mr Jeremiah Richs pen dexterity
compleated with the whole terms of the law by Samuel Botley (1674).
Dans le cataogue de la bibliothèque royale en 1739 on trouve
Psalmi Davidis, Anglice, versibus et characteribus Tachygraphicis,
studio et labore Jeremiae Rich, Londini, Samuel Botley.

Le système Rich a subi diverses modifications, et a inspiré des successeurs
dont les méthodes ont perduré jusque vers 1900.

2) Une modification est proposée en 1677 par Nathaniel Stringer, Rich Redivivus,
or Mr Jeremiah Rich's Shorthand improved :
http://www.folger.edu/imgdtl.cfm?imageid=2312&cid=2311

3) Mais le plus connu des épigones de Rich est William Mason :
"Pen plucked from an eagles wing" (1672), "La Plume volante, or The art of short-hand improv'd" (1707).
La Plume Volante est consultable sur Google Books.

3) Le système Gurney, dont j'ai parlé par ailleurs, est également dérivé de Mason. Comme je l'ai indiqué,
il était encore utilisé par la maison Gurney et par quelques sténographes américains
au tournant du XXe siècle. Portrait de Thomas Gurney ici :
http://www.historicalportraits.com/Gallery.asp?Page=Item&ItemID=321&
Desc=Thomas-Gurney-%7C--English-School

4) Une autre modification est celle de William Addy, Stenographia (1695, 2ème édition).

5) Une autre modification de Rich est celle de Doddrige, sur laquelle nous bénéficions
d'une monographie en français.

Philip Doddridge (1702-1751) était un théologien anglais non-conformiste
(c'est-à-dire un protestant non anglican).
http://en.wikipedia.org/wiki/Philip_Doddridge

Il utilisait une sténographie (adaptée donc du système de Jeremiah Rich),
qui est bien décrite dans cet article de Françoise Deconinck-Brossard,
La sténographie de Philip Doddridge (1702-1751)
Bulletin de la Société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles
12, 12: 29-34 (1981). Elle est disponible ici :

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1981_num_12_1_1874

L'auteur de l'article remet l'emploi de cette sténographie dans son contexte historique
et social, et elle explique ainsi quelle était l'importance du rôle de la sténographie
pour les prêches, en permettant le double écueil de la lecture soporifique
d'un sermon entièrement rédigé et d'un sermon improvisé, dont on se méfiait dans certains
milieux religieux.

Le système Cartwright-Rich-Dodderidge était encore employé près de deux siècles après son introduction.
Exemples de documents médicaux datés de 1823 et 1827
et utilisant la sténo Rich modifiée Dodderidge :
http://www.spinningtheweb.org.uk/bookbrowse.php?page=185&book=C5%2F4%2F2%2F2+Vol+2
&sub=rural&theme=places&crumb=Quarry%20Bank%20Mill
http://www.spinningtheweb.org.uk/a_cat_display.php?irn=656

mttiro · Inscrit le: 27 Sep 2011 Messages: 969

Dans l’article cité plus haut, de Deconinck-Brossard, il est précisé que Doddridge recommande aux apprentis de commencer par apprendre les signes arbitraires avant d’entamer l’étude du système lui-même. Il s’agit donc de commencer par les exceptions, avant la règle.

J’ajoute que, à la page 52 on trouvera une liste de phrases toutes prêtes dans le système de Rich, à l’usage des ecclésiastiques.