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Forum du petit sténographe Forum d'échange et d'entr'aide autour de la sténographie
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mttiro
Inscrit le: 27 Sep 2011 Messages: 969
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Fanchon
Inscrit le: 21 Mai 2006 Messages: 643 Localisation: France (Seine et Marne)
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lepetitstenographe Site Admin
Inscrit le: 18 Mai 2006 Messages: 721 Localisation: Rennes
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mttiro
Inscrit le: 27 Sep 2011 Messages: 969
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Posté le: Dim 20 Nov 2011 2:35 pm Sujet du message: Encore les sténographes |
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Je suis sûr que, comme moi, vous vous passionnez pour les aventures des sténographes. En voici plus, et encore, et encore.
D'abord, vous pourrez contempler le magnifique portrait en pied d'un sténographe adulte (bulgare) ici. Attention : séduisant,
mais être sur ses gardes :
http://www.zin.ru/ANIMALIA/COLEOPTERA/rus/ipssexdc.htm
Pleins de petits enfants sténographes ici :
http://www.invasive.org/browse/subinfo.cfm?sub=887
En anglais, ça peut s'appeler aussi "stenographer beetle", ou "pine stenographer beetle". Wikipedia anglais est faible
sur cette petite bestiole, parce que c'est un animal eurasiatique, et non américain en principe.
Il y a bien sûr une entrée Wikipedia français sur cet être maléfique :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ips_sexdentatus
Même les Tamouls le connaissent, à son désavantage :
http://ka.wikipedia.org/wiki/ექვსკბილა_ქერქიჭამია
Si on regarde Wikipedia en anglais ici :
http://en.wikipedia.org/wiki/Ipini
on voit que ce Bostryche à six dents s'appellerait "le catchote" en français.
En fait, je vous demande un peu, c'est "la catchote", terme employé par les bûcherons des Landes.
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/33535/AEF_1946_10_1_103.pdf?sequence=1
Sur ce dernier document on voit un joli dessin de "chambre d'accouplement avec galeries de pontes rayonnantes" où s'ébat
sans vergogne ce polygame (mais rien de particulièrement sténographique à vrai dire).
En fait, j'ai l'impression que la dénomination "sténographe" est surtout française :
http://spfnic.fs.fed.us/exfor/data/pestreports.cfm?pestidval=79&langdisplay=english
Mais une autre dénomination de Ips sexdentatus était Bostrichus stenographus (Duftschmidt)
et Tornicus stenographus,
et Ips typographus (De Geer)
Ce coléoptère a été décrit en 1776 (et non 1767, comme on le dit trop souvent, bon sang de bonsoir, c'est inadmissible)
par le naturaliste Börner. Lequel, d'ailleurs ne l'appelait pas stenographus, mais Dermestes sexdentatus.
La référence pseudo-précise, pour les amateurs, est donnée sur un site turc (car, il ne faut pas croire, les Turcs aussi
sont infestés de sténographes) :
Dermestes sexdentatus Boerner, 1776, Oek. Nachr. Ges. Schleisen IV, p. 78.
Mais est-ce "Schleisen" ? Non, bien sûr, amis turcs, c'est "Schlesien" = Silésie. Et le nom de la revue,
un peu inattendu, est : Oekonomische Nachrichten der Patriotischen Gesellschaft in Schlesien (1773-1779).
Comme très souvent, Wikipedia débloque complètement pour l'attribution, au moins dans la version allemande, où on attribue
la description du sténographe à l'entomologiste, botaniste et œnologue allemand Carl Julius Bernhardt Börner,
lequel florissait de 1880 à 1953, et non au XVIIIe siècle. Quelle erreur monumentale ! La publication originale dans le périodique
de la Société patriotique de Silésie (fondée en 1771, prématurément disparue en 1791), société consacrée non pas à des
parades militaires et des concerts de musique martiale, mais à l'épanouissement de l'agriculture, du commerce et
de l'industrie réunis, est, comme nul ne l'ignore :
Börner I. K. H. 1776: Beschreibung eines neuen Insekts, des Dermestes 6-dentatus. Oekonomische Nachrichten der Patriotischen Gesellschaft in Schlesien, Breslau 4: 78-80.
On le voit, notre ami Börner classait les sténographes comme des dermestes, c'est-à-dire comme "plus ou moins nécrophages et cosmopolites", capables de "s'attaquer aux jambons, saucissons, poissons séchés, mais également aux fromages, et ce ne sont là que quelques exemples". Qui plus est les dermestes sont bien connus de la "police criminelle scientifique". Les "dermestes du lard" offrent un comportement peu banal. Dès que "la température s'adoucit, ils s'accouplent, et les femelles fréquentent les fleurs". "vers le début de l'été, les dermestes pénètrent dans les maisons". Friands de lard et de jambon, ils adorent également les bouquets de fleurs et les trophées naturalisés.
http://www.insectes-net.fr/dermestes/derm2.htm
http://www.infestation.ca/insectes/dermestes-du-lard.html
Mais, non, les sténographes ne sont pas des dermestes. Ouf ! Il faut dire que la classification de ces genres était très embrouillée. N'empêche que confondre les Ips et les Dermestes, et même chez certains étourdis les Nitidules, voire les Bytures, voilà qui n'est pas tolérable. D'autant qu'il y a tellement à dire sur le genre Ips. L'Encyclopédie méthodique des insectes de MM. Audinet Serville, Bruguière, Daubenton, Lepeletier de Saint-Fargeau &c (Pancoucke, 1792), précise, au volume Insectes que, parmi les Ips, il y a les linéaires, les nains, les allongés, les cylindriques, les oblongs, les resserrés, les géants, que dis-je, les enfoncés, les atténués, et d'autres encore. Bon, assez sur ces dermestes.
Effectivement ces tristes individus, les sténographes, je veux dire, creusent des galeries sous l'écorce,
des pins en particulier. La photo de Gyorgy Csorka sur la page ci-dessus n'évoque guère de la sténo,
mais pour un profane, n'importe quel gribouillis peut éventuellement évoquer de la sténo, sait-on jamais ?
Pour l'entomologiste suédois De Geer (1720-1778), Maréchal de la Cour, Chevalier de l'Ordre Royal
de l'Etoile du Nord, etc., auteur de Mémoires pour servir à l'histoire des insectes (en français, 8 volumes),
ce xylophage évoquait, on l'aura noté supra, carrément la typographie!
J'ajoute que ces tristes sires n'arrêtent pas de transporter des champignons avec leur mandibule, ainsi que
des observateurs lucides, non dupes de leurs manèges, l'ont judicieusement remarqué :
http://pubs.esc-sec.ca/doi/abs/10.4039/Ent123245-2
Ce sont même des "champignons bleus", fléau landais, comme le remarque "Fafouine Babouin" :
http://le-canard-gascon.com/upload/fichiers/CG35-11.pdf
Cet article de Sud Ouest nous en dit de belles sur les sténographes.
http://www.sudouest.fr/2010/07/17/un-nouveau-fleau-frappe-la-foret-141496-4723.php
A la belle saison, ils se reproduisent, dès les 15°, ça, on le savait, c'est une manie chez eux,
mais ensuite, ils pullulent en bandes : "ils émettent des phéromones pour inviter les copains !".
Tout à coup, le visage du Landais "s'illumine". C'est qu'arrivent les staphylins. Et que font-ils, les staphylins ?
Les staphylins "s'installent dans les galeries de ponte du scolyte [= du sténographe] et détruisent ses larves."
Merci, chers staphylins ! Tout est bien qui finit bien. |
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Fanchon
Inscrit le: 21 Mai 2006 Messages: 643 Localisation: France (Seine et Marne)
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Posté le: Dim 20 Nov 2011 3:11 pm Sujet du message: |
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Eh bien! Quelle recherche approfondie une fois de plus, bravo et merci!
Sténographe ou typographe, il y a quand-même insistance sur la notion de dessin.
Ce beetle n'est pourtant pas le seul à dessiner des tranchées, mais le graphisme de celles-ci, même s'il ne nous paraît pas avoir des caractéristiques très sténographiques, est probablement assez spectaculaire et inhabituel (étoiles, etc.), ce qui a peut-être poussé les naturalistes à chercher des noms en rapport avec l'effet visuel produit.
En tout cas, merci pour ton enrichissement de ce forum.
Tu es tellement prolifique et tes propos sont chaque fois si bien étayés et spécialisés (dans des domaines très variés) qu'il est difficile de commenter, voire même simplement de répondre à tous tes articles. Mais sache qu'ils sont lus avec intérêt.
A bientôt donc, pour de nouvelles découvertes...
Fanchon. _________________
http://www.musique-ancienne.fr/stenographie
http://www.musique-ancienne.fr/in-nomine
http://www.musique-ancienne.fr/lesmuses |
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mttiro
Inscrit le: 27 Sep 2011 Messages: 969
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Posté le: Dim 20 Nov 2011 5:28 pm Sujet du message: Encombrante parenté du sténographe |
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Le sténographe a une encombrante parenté. D'abord ses cousins, le typographe et le chalcographe,
pas plus recommandables que lui.
Le Larousse agricole de 1921 les connaît bien ; il nous parle du "Bostryche typographe" (Ips typographus),
du Bostryche chalcographe (Pityogenes chalcographus), et du Bostryche sténographe (Ips sexdentatus).
Larousse agricole, avec belle gravure concernant le typographe :
http://www.inra.fr/opie-insectes/1921agri-b.htm
En effet, tous ces sinistres individus composent une jolie maffia, dont certains membres commencent
à envahir les Etats-Unis :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Scolytinae
Et ce n'est pas tout, il y a aussi le calligraphe (Ips calligraphus)
http://entomology.ifas.ufl.edu/creatures/trees/beetles/IPS_beetles_01.htm
Galerie de calligraphe :
http://entomology.ifas.ufl.edu/creatures/trees/beetles/IPS_beetles_07.htm
Le calligraphe, comme on s'y attend, construit une grande chambre nuptiale, où le rejoignent
de trois à six créatures du beau sexe. Chacune construit sa propre galerie.
Le croiriez-vous, il y a même le capucin (Bostrychus capucinus) ! A qui se fier ?
Le capucin est superbe à voir :
http://www.insecte.org/forum/viewtopic.php?f=1&t=5124
Voici le chalcographe (aux galeries très jolies : voir photo) et le micrographe :
http://foreo.fr/index.php?view=article&catid=29%3ASanitaire-parasite-danger&id=44%3Achalcographe-pityogenes-chalcographus&option=com_content&Itemid=37
Voici le typographe :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bostryche_typographe
http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/dsf_typographe-2.pdf
Lutte contre le typographe :
http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/lutte_typographe-2.pdf
La dénomination "sténographe" est également employée en russe, en ukrainien, en italien.
Le "stenografo" a ravagé les pins de l'Etna, et en 2004, des coins de la Sicile.
En anglais on connaît la dénomination collective "engraver beetle". C'est bien, mais la sténographie
est-elle de la gravure ? |
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kimou
Inscrit le: 18 Nov 2011 Messages: 83 Localisation: aube
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Posté le: Dim 20 Nov 2011 8:34 pm Sujet du message: Agressivité |
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POurqoi le sténographe se veut-il agressif ? |
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mttiro
Inscrit le: 27 Sep 2011 Messages: 969
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Posté le: Mar 22 Nov 2011 9:42 am Sujet du message: Tout sur les Sténographes |
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Les Sténographes sont agressifs, parce que telle est la nature de cette engeance, comme c'est le cas aussi des Typographes, des Chalcographes, des Calligraphes, et, on va le voir, d'autres Machin-graphes.
C'est vrai, je l'avoue, je n'ai pas été très fair play, parce que, si j'avais respecté les usages orthographiques rigoureux, j'aurais mis une majuscule chaque fois qu'il s'agissait d'espèces animales, et une minuscule chaque fois qu'il s'agissait d'êtres humains. On aurait vu tout de suite que les Sténographes ne sont pas des sténographes.
De plus, pour me placer du point de vue des Sténographes, qui ont leur mot à dire sur eux-mêmes, ils ne font, très innocemment, que creuser des galeries pour accueillir des dames Sténographes dans une "chambre nuptiale" et faire avec elles une ribambelle de petits Sténographes. C'est moi, individu prétendument extrêmement sage (ne suis-je pas en effet un Homo sapiens sapiens ?), qui ai le culot de me plaindre des Sténographes sous prétexte qu'ils seraient "agressifs" et qu'ils "ravagent" la forêt landaise.
1) Les métaphores
Blague à part, on comprend très bien une dénomination comme "Chalcographe", puisque la métaphore de l'artisan et artiste qui attaque une plaque de cuivre à l'acide pour y tracer des sillons, correspond excellemment à ce qui s'observe quand on a enlevé l'écorce du bois et qu'on tombe sur un système de jolies galeries "tout entier gravé très lisiblement sur le bois et sous l'écorce" (Feyaud, voir ci-dessous). Gravé très lisiblement : c'est un entomologiste bordelais qui nous le certifie, et, grand connaisseurs des pin landais, il doit savoir de quoi il parle.
On comprend moins pour le Typographe, et pas tellement non plus pour le Calligraphe et le Sténographe. En dehors de l'univers entomologique, les calligraphes et les sténographes tracent des traits sur du parchemin, du papier, ils ne gravent rien du tout. A moins que, au moins au départ, les auteurs de ce genre de dénominations aient été sensibles au fait que, en grec ancien, "graphein" veut dire "entailler", "graver", avant de vouloir dire "écrire". Ça, c'est pour l'aspect interaction homme / support de la technique.
Maintenant s'agissant de l'aspect visuel des tracés des calligraphes, par définition, s'ils calligraphient avec soin, ce qu'ils produisent n'est pas très "vermiculé", pour employer un terme d'architecture. Googlez "vermiculation" sur Google Images pour voir de belles vermiculations ornementales du genre de ce qui a été mis à la mode pour les façades des palais italiens de la Renaissance.
Il y a bien, des écritures vermiculées, nouillesques, spaghettoïdes, mais elles ne sont pas calligraphiées, bien entendu, puisqu'elles sont rapides à des degrés divers. Et la littera inintelligibilis de Thomas d'Aquin, objet d'un post récent, donne l'impression que Thomas, en train de se détendre l'esprit par une petite séance de pêche à la ligne, a par mégarde renversé un pot d'asticots sur la page. Mais ça, c'est de l'anti-calligraphie au plus haut degré.
Si on regarde l'aspect des documents sténographiés avec des méthodes anciennes, fin XVIIe siècle, début XIXe siècle, on peut également, si on y est porté, y voir des asticots qui gigotent. C'est peut-être moins évident pour des sténographies anglaises et françaises du genre de Pitman, Paris, Prévost-Delaunay, Duployé, qui sont géométriques.
Mais c'est peut-être plus plausible pour des systèmes cursifs allemands comme la Gabelsberger. Voir par exemple les tables II, III, IV illustrant l'article Stenographie du Mayers Grosses Konversations-Lexikon 1909 :
http://www.zeno.org/Meyers-1905/B/Stenographie
Il serait donc intéressant de rechercher l'origine de la métaphore "sténographe" pour le coléoptère, et de la famille des autres métaphores ("sténographe" semble postérieur à "typographe"). Il est pratiquement certain que cette métaphore sténographique
particulière est apparue en milieu germanophone, ainsi qu'on va le voir, en 1823. On notera que Gabelsberger a publié sa méthode, sous réserve de vérification, en 1831, mais il avait commencé à travailler en 1817. Mais la métaphore du Sténographe a été filée à parti d'une métaphore antérieure impliquant une formation lexicale en "-graphe", et qui a proliféré de manière spectaculaire mais assez logique pour des coléoptères creuseurs de galeries.
Ceci étant, il est possible de formuler une autre hypothèse, qui serait que "stenographus", Stenographe, soit à interpréter autrement que ce qu'on pense spontanément. Ne pas oublier que, dans "sténographie", le grec "stenos" veut dire "serré", "resserré", "étroit", "confiné" ; il forme des noms qui peuvent désigner un détroit maritime, une langue de terre, un défilé. Il est donc possible que, en entomologie, la référence soit, non pas à ce que nous appelons sténographie (écriture abrégée, compressée, et donc rapide), en pensant à l'aspect visuel d'un texte, ou de sténogrammes individuels, mais à l'allure resserrée du système de galeries, ou bien à l'étroitesse de galeries prises individuellement, ou les deux. En botanique, "stenophyllus" veut dire "à feuilles étroites".
Le profane que je suis n'est pas le seul à se poser des questions sur la légitimité des dénominations. De grands spécialistes se les posent aussi. L'entomologiste Pierre Andé Latreille (dans un ouvrage de 1802-1805, complément à Buffon), reconnaît à propos d'un Dermeste: "Nous n'avons pas trouvé, chez ce petit insecte, de plus grands talens pour l'art que sa dénomination annonce, que chez le précédent pour la typographie...".
Essayons alors d'y voir plus clair. Je préviens que toute cette affaire est un peu vermiculée, c'est le cas de le dire, mais c'est une situation assez courante dans la taxonomie et la nomenclature en zoologie, parce qu'il y a des changements dans les classifications et dans les dénominations. Je repousse à la fin, sous la rubrique "Détails", des informations encore plus détaillées.
2) Histoire rapide des dénominations
La monographie de Jean Feytaud, "Les Coléoptères du pin maritime" (1950, 96 pages) est détaillée, mais sa lecture est accessible même à un profane, y compris dans les passionnantes descriptions de l'anatomie et du comportement de ces animaux.
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/33542/AEF_1950_12_1_001.pdf?sequence=1
On trouve y trouve diverses précisions sur l'histoire de la classification et de la dénomination de ces coléoptères xylophages, ainsi que quelques gravures intéressantes sur la forme des galeries.
Feytaud mentionne notamment ces animaux dont les noms sont intéressants pour nous, puisque, en gros, c'est une bande de graphomanes : Polygraphus polygraphus L., Polygraphus subopacus Thoms., Pityophthorus micrographus L., Pityogenes chalcographus L., Tomicus eurygraphus Erichs., Tomicus stenographus, Xyleborus eurygraphus, Xyleborus cryptographus, Xyleborus monographus, Xyleborus dryographus, Ips typographus L. (= Ips octodentatus Gyll., la métaphore "à huit dents" se référant au bord de ses élytres).
Ce dernier, Ips typographus, qui est un Ipine de grande taille décrit comme type pour tout le genre Ips, s'en prend surtout à l'épicéa, et ses ravages dans le nord de l'Europe sont rapportés dès 1665, puis à nouveau au XVIIIe siècle. Le Typographe est donné par Feytaud comme vivant en Europe centrale, et non en France, où sévit le Sténographe, spécialisé dans les pins, et qui est encore plus gros que le Typographe.
Un auteur français, Edouard Perris (1808-1878), chef de bureau à la préfecture de Mont-de-Marsan, entomologiste amateur mais sommité reconnue sur les insectes du pin maritime, décrit (publications de 1863, 1876) notre vieille connaissance le Sténographe comme ayant des "pattes ferrugineuses, avec les tibias un peu ternes et les tarses clairs". Sur le bord antérieur de la tête, ainsi qu'à l'anus, le Sténographe est orné de "poils roussâtres et étalés". Plus précisément, il a une "tête chagrinée jusqu'au haut du front, qui est parsemé de points souvent confluents". Soyons respectueux de Perris et de son Sténographe à tête chagrinée : chez lui, "chagriné" veut dire "qui a l'aspect grenu d'une peau de chagrin", le chagrin étant "une espèce de cuir grenu, préparé avec la peau de la croupe du mulet, de l'âne ou du cheval et utilisé en reliure et en maroquinerie de luxe" (Trésor de la langue française). Simone de Beauvoir a pu encore écrire "la peau chagrinée de nos tantes" en 1958.
A partir de ce que j'ai pu lire, et qui est détaillé en partie ci-dessous, mes conclusions sont les suivantes concernant le Sténographe, Ips sexdentatus :
a) La bestiole a été décrite par Börner en 1776. Il l'a appelée Dermestes 6-dentatus, la classant dans le genre Dermestes de Linné.
b) Son nom scientifique actuel, Ips sexdentatus, combine l'apport terminologique de Börner (1776) pour le nom spécifique "sexdentatus", et l'apport terminologique antérieur de De Geer (1775) pour le nom générique "Ips".
c) Son nom courant, le Sténographe, dérive du nom spécifique "stenographus" donné par Durfschmidt en 1825 (dans "Tomicus stenographus"), à partir d'un modèle terminologique proliférant qui aurait été fourni par Linné, chez lequel on trouve en 1758 les espèces qualifiées de "typographus", "micrographus", "poligraphus" (sic).
Si le Sténographe ne s'appelle pas "stenographus" dans son nom scientifique actuel, (mais Ips sexdentatus), heureusement il existe bel et bien des "stenographus" dans d'autres genres de coléoptères xylophages. Voici ceux que j'ai trouvés sur une base de données taxonomiques :
Selon ZipcodeZoo, les espèces ayant actuellement comme nom spécifique "stenographus" seraient :
Bostrichus stenographus Duftschmidt, 1825
Cumatotomicus stenographus Ferrari, 1867 (seule espèce de son genre)
Xyloctonus stenographus Schedl, 1961
Cryptoxyleborus stenographus Wood & Bright, 1992
3) Détails
Reprenons notre souffle.
Le descripteur du Sténographe, Börner, n'a pas eu recours en 1776 à une métaphore d'écriture, d'imprimerie ou de gravure pour le nom spécifique (qui est, je le rappelle, "sexdentatus"), alors même que ce type de métaphore était déjà disponible.
Celui qui semble avoir déclenché la mode de nomination en "-graphe", c'est peut-être bien Carl von Linné (1707-1778) en personne. Il a décrit Pityogenes chalcographus L., Ips typographus L., Polygraphus polygraphus L., Pityophthorus micrographus L. Attention, je dis "il a décrit" et non "il a nommé" par prudence, car je ne suis pas certain que le fait d'avoir le nom de Linné comme inventeur d'une espèce prouve que c'est aussi l'auteur de la dénomination du taxon qui apparaît ensuite ici ou là. Pour d'autres que Linné, les contre-exemples foisonnent, et en outre, comme on le verra plus bas, le genre Ips a été établi non pas par Linné, mais par son élève et compatriote De Geer.
Linné classait les Ips sous le genre Dermestes, puisque c'est lui l'auteur du genre Dermestes en 1758, voire 1746. Le Systema naturae, 10ème édition, 1758, disponible sur un site de Göttingen, énumère les Dermestes à partir de la page 354. Chez Linné le genre Dermestes est caractérisé notamment par une description de la tête qui n'est pas des plus engageantes : "Caput sub thorace inflexum condens", que James Barbut (1781) rend ainsi : "La tête est pliée en dedans, comme si elle etoit cachée sous le corcelet".
Page 355 du Systema naturae (1758) Linné liste trois Dermestes à nom en "-graphe" : Dermestes typographus, Dermestes micrographus et Dermestes poligraphus. Linné ne connaît pas de Sténographe.
Maintenant reste à savoir si "typographus" est une innovation de Linné, où s'il latinise une dénomination préexistante.
Dans l'édition de 1748, également disponible à Göttingen, Linné n'énumère que trois espèces, aucune avec un nom qui nous intéresse.
Duftschmidt était un naturaliste autrichien nettement postérieur à De Geer (1767-1821), et auteur d'une Fauna austriaca en trois volumes (1804, 1812, 1825). C'est lui qui aurait modifié cette métaphore en introduisant le nom spécifique "stenographus" en 1825.
4) Prolifération des dénominations en -graphe
Les entomologistes, très naturellement, on multiplié les formations de noms terminés par -graphe pour ces insectes creuseurs de galeries, assimilés à des graveurs. Aujourd'hui encore, de nouvelles espèces décrites continuent à être nommées de la sorte.
Voici des exemples, sans garantie aucune d'exhaustivité, y compris dans des coléoptères de genres autres qu'Ips, qui montreront que tout y passe :
Ips cacographus LeConte = grandicollis Eichhoff
Ips calligraphus Germar
Ips plastographus LeConte
Ips plastographus maritimus Lanier
Ips plastographus plastographus LeConte
Polygraphus sachalinensis Eggers 1926
Polygraphus poligraphus Wood & Bright, 1992
Cumatotomicus stenographus Ferrari, 1867 (seul de son genre)
Xyleborus adelographus Eichhff, 1868
Xyleborus agraphus Schedl, 1977
Xyleborus biographus LeConte, 1868
Xyleborus cryptographus Ratzeburg, 1837
Xyleborus dryographus Ratzeburg, 1837
Xyleborus eurygraphus Ratzeburg, 1837
Xyloborus lignographus Schedl, 1953
Xyloborus micrographus Schedl, 1958
Xyleborus monographus Fabricius, 1792
Xyleborus stenographus Schedl, 1971
Xyleborus xylographus Say, 1826
Pityogenes chalcographus L.,1761
Bostrichus chalcographus Paykull, 1800 ; famille Scolytidae
et (?)
Bostrichus chalcographus Herbst, 1783
Bostrichus autographus Ratzeburg, 1837
Bostrichus calligraphus Duftschmidt, 1825
Bostrichus dryographus Ratzeburg, 1837
Bostrinus iconographus Dejean, 1837
Bostrichus micographus Herbst, 1783
Bostrichus micrographus Panzer, 1793
Bostrichus monographus Fabricius, 1792
Bostrichus orthographus Duftschmidt, 1825
Bostrichus stenographus Duftschmidt, 1825
Pityogenes chalcographus L., 1761 famille Curculionidae = Bostrichus xylographus Sehlberg, 1836 |
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